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Chroniques
Madame Sans-Gêne
opéra d’Umberto Giordano (version de concert)
Hier soir, durant le concert de l’Orchestre National de France dirigé par James Gaffigan qui venait couronner toute une journée dévolue à la formation parisienne [lire notre chronique de la veille], entre Chaiman’s dance de John Adams – foxtrot parodique extrait de Nixon in China [lire notre chronique du 18 avril 2012] – et la Symphonie en mi mineur Op.95 n°9 « du Nouveau Monde » signée Antonín Dvořák, le récitant Stefano Cassetti (avec un accent exhumant de notre mémoire plus d’un mafieux de Brooklyn !) évoquait une figure mythique de la politique nord-américaine à travers Lincoln Portrait (1942) d’Aaron Copland. Aujourd’hui, ce sont Napoléon et Fouché qui se tiennent sur la grande scène du Corum, mais seulement en faire-valoir du rôle-titre : une blanchisseuse devenue duchesse sous l’Empire, surnommée Madame Sans-Gêne.
C’est en 1914 qu’Umberto Giordano (1867-1948) s’attelle à la composition d’un ouvrage en trois actes inspiré par une comédie historique de Victorien Sardou et Émile Moreau, laquelle vit triompher Réjane au Théâtre du Vaudeville (Paris), une dizaine d’années plus tôt. Renato Simoni signe le livret de cette Madame Sans-Gêne en langue italienne, créée par Toscanini à New York – comme La fanciulla del West (1910) de Puccini [lire notre chronique du 26 février 2013] –, le 25 janvier 1915.
Comment ne pas succomber à cette figure savoureuse, imaginée à partir de la vie de l’Alsacienne Catherine Hubscher (1753-1835), qui suit son sergent de mari dans ses campagnes contre Russes et Prussiens, et des Mémoires de Marie-Thérèse Figueur (1774-1861), fille de meunier devenue cantinière, qui connut les aléas d’une carrière militaire (blessures, emprisonnements) ? D’autant que l’héroïne – et c’est là tout le sel –, découverte en août 1792 dans sa blanchisserie parisienne (Acte I), reste la même en septembre 1811, quand elle rend des comptes à l’Empereur dans son cabinet de Compiègne (Acte III) : une femme généreuse au franc-parler. C’est ainsi qu’entre deux situations cocasses, poussée à bout, elle cloue au pilori ces persifleurs qui, comme au temps des rois, ont juste pris la peine de naître :
« J’ai trotté du Rhin au Danube, de bataille en bataille, avec la sainte canaille, sous la neige, la pluie et la mitraille, la faim au ventre, à ramasser les blessés, consoler les mourants, fermer les yeux aux morts ! Et en versant la goutte aux soldats qui vous gagnaient un royaume, j’me battais pour vous, pour votre couronne ! Après, vous avez plus eu qu’à vous baisser, plonger les doigts dans le sang pour la ramasser ! » (traduction de Valérie Julia, programme du festival)
Tout est dans le texte, si bien que trois robes différentes pour l’héroïne et des entrées différées pallient l’absence de mise en scène. Manquant d’abord de souplesse et de projection, Iano Tamar impose vite un rôle-titre chaleureux. D’allure sobre, Adam Diegel (Lefebvre) défend d’un impact épicé son bouillonnant personnage. Comme à son habitude, Franco Pomponi (Fouché) offre rondeur et santé, tandis que Pablo Karaman (Neipperg) allie douceur et sonorité. Riche en mimiques, le trio des « artisans » s’amuse avec bonheur (cf. le point d’orgue sur « Che fasto ! ») : Matteo Mezzaro (Despréaux), vif et lumineux, Florian Sempey (Leroy), ferme et nuancé, ainsi que Michał Partyka (Gelsomino), clair de chant et de diction [lire notre chronique du 26 juin 2010]. Enfin, Franck Ferrari (Napoléon) se montre… impérial, mais un peu terne.
Apprécié jadis dans sa lecture de Turandot [lire notre chronique du 18 mars 2007], Marco Zambelli remplace Stefano Ranzani à la tête de l’Orchestre national Montpellier Languedoc-Roussillon. Le Génois s’avère attentif à la nuance, afin de rendre la subtilité d’un badinage, l’élégance d’une scène de bal, quand ce n’est pas la tension d’une Carmagnole ou la fureur d’une sentence funèbre. Si l’ouvrage était représenté dans quelques mois, pour son centenaire – à l’Opéra du Rhin, par exemple ? –, nous serions contents d'y retrouver le Maestro aux commandes.
LB